11.9.14

Merci Dana

avec ça, je n'ai pas la pression maintenant

SCREAM'ART
par Dana Hilliot
http://www.outsiderland.com/outside/
Le photographe mitraille le monde avec ses appareils, chacun de ses assauts découpe une infime partie du monde, la dissèque, la torture, l'expose, et toutes les images de tous les photographes mitraillant le monde, des centaines de milliards, dit-on, chaque année, sont renvoyées au monde, sur les toiles, les écrans, les murs, toutes ces images saturent l'espace du visible, si bien que le monde en est désormais comme recouvert, et ces centaines de milliards d'images sont mitraillées à leur tour dans un flux continu, un flux monstrueux en vérité, dans les yeux et l'esprit des photographes, l'esprit du photographe est saturé d'images qui surgissent de partout, et, parce que telle est sa tâche, il tente d'opposer à ce flux incessant ses propres images, ses propres captures du monde, il s'y oppose pour survivre, parce que tel est son art, il le condamne à produire des images qui s'opposent à l'anéantissement du monde, pour ne pas être lui-même anéanti, et il se pourrait bien qu'il courre lui-même le risque de devenir fou, d'être entraîné dans cette folie, alors :
Le photographe se terre dans son atelier, il sent qu'il pourrait sombrer dans la folie, une force irrépressible émergeant des failles creusées par le flux continuel des images dans son esprit le pousse à s'accroupir dans un coin de l'atelier, à l'endroit le plus sombre, là maintenant, il sent de puissantes vagues de noir affluer de l'intérieur de lui-même, circulant le long de ses nerfs brûlants, il semble que toute la douleur des images du monde se soit liquéfiée et circule tout le long de ses nerfs, le photographe oscille entre l'effondrement et l'explosion, quelque chose en lui voudrait hurler, en se redressant il saisit un appareil photographique posé sur la table, tend le bras, l'objectif lui fait face, une gueule monstrueuse, alors il lui oppose sa propre gueule, il hurle et déclenche l'obturateur, il hurle longuement, comme un loup désespéré, un ours en fureur, sa gueule vomit toute la douleur accumulée, il hurle, son bras tendu lui fait mal, les vibrations de l'air bouleversé par son hurlement impriment la plaque photographique, on croirait voir trembler l'espace entre sa bouche ouverte et l'objectif, il hurle, puis, exténué, replie son bras, s'agenouille, tremblant.

Plus tard, il se relève, lentement, et s'installe à son établi. Il travaille. Il dispose le matériel dont il a besoin pour faire émerger l'image. Une image, une autre image, une de plus, intensément noire, une gueule noire, des yeux exorbités, il travaille, que pourrait-il faire d'autre, telle est sa tâche, avec des filtres, avec des lampes, avec des écrans, il explore l'image, la pressure, il la presse de révéler ce qu'elle a saisi de l'expérience, ce qu'elle recèle dans les entrailles, la douleur dont elle est issue, et bientôt, du travail du photographe, désormais en paix, surgit une nouvelle image, des couleurs vives, des superpositions, on dirait que l'image a été bouleversée par le son jailli de la bouche qui a hurlé, ce hurlement épais de toute la douleur accumulée, lui-même connecté par les nerfs au flux continuel des images capturées, toute la violence, toute la peine, toute la douleur. Le photographe se dit qu'il a comme photographié un hurlement, son propre hurlement, il ne pensait pas qu'une telle chose était possible.



exposition et vernissage ce soir de mon travail Crichromie
L'atelier d'Instants tannés
(l' ancienne maison du garde barrière)
67 rue du Dauphiné